Bruits effrayants dans une maison de Blois ou exploration de l'inconnu
(Extrait du livre de Camille Flammarion – Les Maisons Hantées Ed. Ernest Flammarion 1923)
En novembre 1913, une maison hantée, Blois, fit assez de bruit dans la presse. Il s'agissait de vacarmes, de hurlements et de coups frappés dans les murs d'une demeure habite par une famille Jarossay, composée du père, de la mère et d'une jeune fille de dix ans. Une enquête que j'ai fait faire m'a montré que, selon toute probabilité, il n'y a eu là rien de sérieux (lettres 2495 du 18 février 1914 et 2510 du 24 mars suivant). Les bruits ont cessé à l'intervention de la justice; les manifestations auraient eu pour but d'attirer sur les occupants la commisération publique. Cela se passait dans le quartier des Granges, non loin de la rue des Gallières.
L'observation suivante me parait mériter une attention beaucoup plus sérieuse. A quelque distance de Blois, à Fougères-sur-Bièvre, modeste village de 700 habitants qui s'enorgueillit d'un vieux château classé parmi les monuments historiques, des bruits plus extraordinaires
et moins suspects que les précédents ont agité tout le village, à partir du 27 décembre 1913. J'en ai reçu la description par M. Paul Gauthier, industriel, ancien maire de Blois, et par M. Boutin, de Blois, qui a tenu à faire sur ce point une enquête spéciale et m'a envoyé, en même temps, les relations publiées par les journaux. En voici le résumé :
La maison est occupée par M. Huguet-Prousteau, géomètre expert, âgé d'une soixantaine d'années, qui habite là avec sa femme, son gendre et son jeune petit-fils âgé d'une douzaine d'années. La première manifestation des faits remonte au 27 décembre. Cette nuit, M.Huguet-Prousteau se rappela brusquement qu'il avait omis, la veille, une correspondance urgente. Il se leva donc, 3 h. 1/2 du matin, et alluma du feu. A peine fut-il dans son cabinet de travail qu'il entendit son voisin qui fendait du bois, ce qui l'étonna, étant donne l'heure. Le matin venu, il en fit l'observation à ce voisin, M. Cellier. Celui-ci, à la grande stupéfaction des deux hommes, non seulement n'avait rien fendu du tout, mais avait entendu le même bruit, qu'il avait attribué à M. Huguet-Prousteau, et il s'apprêtait à lui reprocher de troubler ainsi son sommeil.
Depuis ce jour, chaque soir et chaque matin, on entendit frapper des coups dans la cloison et on sentit les murailles trembler. Puis le phénomène s'est amplifié, est devenu un infernal branle-bas s'entendant à 200 mètres de distance. Si c'est un « type » qui fait cela, disait d'abord M. Huguet-Prousteau, il est poli et nous laisse manger tranquillement. Lorsque nous dnons entre 6 et 7 heures, le vacarme ne commence qu' 8 heures. Lorsque je ne rentre qu' à 7 h. 4/2, le tapage ne commence qu'à 9 heures ! Le géomètre, s'il ne put expliquer ce qui se passait chez lui, ne s'en montra pas affolé, non plus d'ailleurs que son gendre et son jeune petit-fils. Seule, sa femme ne put se défendre d'éprouver une profonde inquiétude
et souhaitait fort en voir la fin. Arrivons aux faits que j'ai constatés par moi même,
m'écrit un témoin. J'étais, vers 8 heures du soir, chez
M. Huguet-Prousteau. Comme au récit des faits, je laissais légèrement percer mon incrédulité, le propriétaire me dit : Voici l'heure habituelle où cela se produit, vous allez vous-même en être témoin. Quant à moi, je ne suis pas éloigné de croire à des phénomènes
électriques. Quoi qu'il en soit, hier dimanche, le bruit a été formidable le soir : tout le pays en jase. Le vacarme a eu lieu de 8 .heures 10 heures, le soir, et de 5 h. 1/2 6 heures, le matin. Donc a ne va pas tarder à commencer. »
Tant d'assurance ne laisse pas que de m'impressionner, et je commence croire que je vais assister au sabbat annoncé. Je suis là, avec toute la famille. Mon hôte remplit les verres, et nous trinquons quand même. Au dehors un murmure de voix indique que la foule
commence à s'amasser. Nous ouvrons la porte, et le corridor se remplit aussitôt de curieux; nous faisons entrer le plus de monde possible, afin qu'ils puissent mieux entendre 1. (l. Erreur et imprudence : mauvaises conditions de contrôle.) Cependant, je visite minutieusement, avec M. Baranger, le grenier et les combles de la maison. Elle est fort ancienne. Je passe ensuite dans le grenier du voisin, sans découvrir aucun truquage ni rien de suspect. Mais .qu'est-ce à dire? Est-ce que je ferais peur à « l'esprit » . Neuf heures sonnent et rien ne se produit. Au dehors, la foule trompe l'attente en se livrant à de joyeuses conversations, ainsi qu'on entend parmi les spectateurs un soir de feu d'artifice ou une fête
champêtre. Tous les habitants de Fougères sont là, et aussi les vignerons accourus des environs. Le temps assez doux favorise cette longue attente. Je regarde la pendule : il est 9 h. 20... La famille Huguet-Prousteau s'étonne et moi je commence à rire en dedans. Mais on continue à m'affirmer que « ça va infailliblement se produire ». Pourtant on invite le petit à aller au lit, et il s'y décide... lorsque soudain plusieurs coups formidables branlent la cloison séparant du corridor la chambre où nous nous trouvons.
Il est 9 h. 25. Je me précipite dans le corridor et j'éclaire le mur avec une bougie. Les coups se succèdent avec force, semblant frapper à tort et à travers, du haut en bas, de droite et de gauche, dans cette cloison qui mesure deux mètres de haut sur cinq mètres de long. Puis les coups cessent. C'est maintenant un tremblement terrible, qui secoue la muraille avec une force que dix hommes ne pourraient égaler.
La scène a duré à peine cinq minutes. M. Huguet-Prousteau est là souriant et flegmatique. « J'ai vu plus fort que ça, me dit-il. Ceci n'est rien : vous allez voir tout à l'heure. » Mais c' était bien fini pour ce jour-là. Et je pris congé du géomètre, intrigué au plus haut point, mais non plus sceptique. Les assistants ne tarissaient pas sur ce sujet, en racontant leurs impressions. On voit dans le grenier de la maison du crépis et du plâtre arrachés du mur, sous
les yeux du jeune Huguet-Prousteau. Je disais à ce brave petit, qui est âgé d'une douzaine d'annes : « Tu n'a donc pas peur? » Et lui de me répondre, en ouvrant de grands yeux : « Mais, Monsieur, je suis avec grand-père ! ».
Dimanche soir, M. Lepage-Girault, journalier à Fougères, cogna douze coups sur la muraille. Douze coups lui répondirent aussitôt ! Un autre assistant frappa quatorze coups qui lui furent répétés. Dans le pays, on ne parle que de ces faits étranges. On se demande quelle en est la cause. Au début, on prit la chose en riant; maintenant on ne sait au juste que
penser. On a, tout naturellement, accusé le gamin de douze ans. Mais on a reconnu qu'il ne frappait pas lui-même. D'ailleurs, ces coups étaient souvent formidables. Continuons cette description.
La maison de M.Prousteau est située dans une cour commune. Elle est encadre par deux autres immeubles de même apparence. Derrière s'étend le jardin de la cure. Il est donc très facile d'établir une surveillance rigoureuse autour de cette maison.
Les bruits ont commencé à se manifester fin décembre, et ont continu jusqu'en février. M.Prousteau et sa famille n'en avaient soufflé mot; les voisins ; dont les habitations touchent celle de M. Prousteau, intrigués du vacarme qui se produisait aux mêmes heures, racontèrent, dans le bourg, ce qu'ils avaient entendu. Ce fut une traînée de poudre. Chaque habitant voulut
voir et entendre. Des communes environnantes on accourut en foule et les curieux ne cessèrent d'affluer aux abords de la maison.
Un arrêté de M. le baron de Fougères, maire de Fougères, mit fin ces allées et venues incessantes, en interdisant de stationner dans un rayon déterminé. Un certain soir, le bruit fut tel qu'on l'entendit distinctement, non seulement dans les immeubles voisins, mais de l'autre côté de la rue, à plus de soixante mètres de distance. La maison était secouée du haut en bas, les cloisons vibraient avec intensité, les portes et les fenêtres claquaient avec une violence singulière. On dut les ouvrir dans la crainte que les vitres ne fussentAu dire de témoins dignes de foi, les bruits qui accompagnaient les vibrations formidables de la maison ressemblaient à des grondements de tonnerre lointains. D'autre part, les rideaux du lit s'agitaient sans cesse; on les aurait cru secoués par un violent courant d'air (Phénomène analogue à ce qui a été régulièrement observé chez moi lors des expériences avec Eusapia Paladino (v. Les forces naturelles inconnues, p. 128, etc), et cependant tout était clos. A l'intérieur de la maison, plusieurs personnes étrangères à la famille firent quelques expériences. Elles frappaient dans les murs un nombre de coups déterminé. Immédiatement le même nombre de coups était frappé, mais avec une sonorité inimitable. Les bruits étaient forts et sourds et semblaient émaner de la maison tout entière. Une nuit, quelques hommes résolus montèrent dans le grenier. A peine étaient-ils arrivés que le vacarme commença et que la maison se mit trembler. Leurs lumières faillirent être éteintes, et ces hommes s'empressèrent de descendre.
que dire. On avait envisagé la présence de piles électriques dans le mur; la maison fut visite de fond en comble, par des monteurs électriciens de l'usine des Montils, mais rien d'anormal n'a pu être découvert. « Le petit-fils de M. Prousteau, dont le lit était secoué pendant qu'il y reposait, fut envoyé dans une autre maison. Un enfant du même âge prit sa place. Or, aucune manifestation ne fut constatée pendant l'absence du jeune Prousteau. »
M. Boutin ajoutait son envoi du 18 février 1914 : « Je connais M. Prousteau depuis une quinzaine d'années ; cet homme m'a toujours paru d'une nature paisible, et incapable de se livrer des excentricités destines à amuser le public. Il jouit dans la contrée d'une bonne considération; ses antécédents sont excellents; je ne vois donc pas quel intérêt aurait pu l'amener à se créer volontairement une situation aussi étrange. »
Ici, comme dans la plupart des constatations analogues, la cause inconnue, productrice des phénomènes, est associée à un jeune organisme humain. Ce n'est pourtant pas là une condition exclusive. Nous avons pénétré dans un monde plus inconnu que ne l'était l'Amérique au temps de Christophe Colomb et d'Améric Vespuce, et dont l'exploration est encore plus compliquée que ne l'a été celle des indigènes du nouveau monde, quoique nous n'y ayons pas à craindre les anthropophages. Essayons pourtant de l'étudier avec toutes les rigueurs de la
méthode scientifique. Comparons les observations. Nous n'avons que l'embarras du choix pour les objets de cette étude, en prenant bien soin d'éliminer les cas douteux ou frelatés.