L'Infini selon Albert Einstein
L’Infini selon Albert Einstein
(Extrait d’Einstein et l’Univers, une lueur dans le mystère des choses, par Charles Nordmann. Ed. Hachette 1921)
Les difficultés et les incertitudes précédentes disparaissent en grande partie lorsqu’on considère l’espace ou plutôt l’espace-temps du point de vue einsteinien de
Que signifient ces mots : l’Univers est infini ? Du point de vue einsteinien, comme du point de vue newtonien, comme du point de vue pragmatiste cela veut dire : Si je marche droit devant moi, toujours et jusqu’à la fin de l’éternité, je ne reviendrai jamais à mon point de départ.
Est-ce possible ? Newton dit nécessairement oui, puisque l’espace pour lui s’étend, indéfini, indépendant des corps qui y sont plongés, que le nombre des étoiles soit ou non limité. Mais Einstein dit : non. Pour le relativiste, l’Univers peut n’être pas infini. Est-il donc borné, limité par je ne sais quelles balustrades ? Non. Il n’est pas limité.
Quelque chose peut être illimité sans être infini. Par exemple un homme qui se déplace à la surface de
Nous avons vu que, par suite de la gravitation, l’Univers einsteinien n’est pas euclidien mais incurvé. Il est difficile, sinon impossible, nous l’avons déjà dit, de se représenter, de visualiser une incurvation de l’espace. Mais cette difficulté ne doit exister que pour notre imagination limitée par nos habitudes sensibles, non pour notre raison qui va plus loin et plus haut. Car c’est encore une des erreurs les plus fréquentes des hommes de croire que l’imagination a des ailes plus puissantes que la raison. Pour être persuadé du contraire il suffit de comparer ce que les anciens les plus poétiques avaient pu rêver au sujet de la voûte étoilée et ce que la science moderne nous y montre…
Voici alors comment notre problème se pose.
Négligeons, pour l’instant, la répartition un peu irrégulière des étoiles dans notre système stellaire, et supposons-là à peu près homogène. Quelle est la condition pour que cette répartition des étoiles sous l’influence de la gravitation demeure stable ? La réponse fournie par le calcul est : pour cela la courbure de l’espace doit être constante et telle que l’espace se ferme sur lui-même à la manière d’une surface sphérique. Les rayons des étoiles peuvent faire éternellement, indéfiniment le tour de cet Univers illimité et pourtant fini. Si le cosmos est sphérique de la sorte, on peut même penser que les rayons émanés d’une étoile, du Soleil par exemple, iront converger au point diamétralement opposé de l’Univers après en avoir fait le tour.
On pourrait s’attendre à voir, en des points opposés du ciel, des étoiles dont l’une ne serait que l’image, que le fantôme de l’autre, que son « double » au sens où les anciens Egyptiens entendaient ce mot. Au vrai, ce « double », cette étoile-image, nous représenterait, non pas ce qu’est l’étoile génératrice, l’étoile-objet ; mais ce qu’elle était à l’époque où elle a émis les rayons qui forment cette image, c’est-à-dire des millions d’années auparavant.
Si d’un point donné du système stellaire, par exemple de notre planète, nous observons en même temps l’étoile-objet et l’étoile-image, la réalité et le mirage, nous les verrons bien différentes l’une de l’autre, puisque l’image nous montrera l’objet tel qu’il était des milliers de siècles auparavant. Il pourra même arriver que l’étoile-image soit plus brillante que l’étoile-objet parce que, dans l’intervalle ; celle-ci sera éteinte, peu à peu refroidie par les siècles.