Le Calice de la Cène et Joseph d'Arimathie
Le Calice de la Cène et Joseph d’Arimathie
L’existence du calice de la dernière Cène (celui-là même, qui selon Robert de Boron dans le Roman de l’histoire du Graal, aurait servi ensuite à Joseph d’Arimathie pour recueillir le sang écoulé des plaies du corps inanimé du Rédempteur) est attestée non seulement dans les Evangiles, mais aussi dans de très anciennes chroniques. La plus antique (VI e siècle), pour ce que nous en savons, est une description de Jérusalem éditée par P.Geyer en 1898. Une analyse longue et colorée de la basilique constantinienne sert d’occasion à l’auteur anonyme pour énumérer une série nourrie de reliques qui y seraient conservées ;parmi d’autres, la lance de Longin, elle aussi intimement liée à la légende médiévale du Graal, la couronne d’épines,
« Puis, dans le sanctuaire de la basilique de Saint-Constantin, il y a une loge où se trouvent le roseau, l’éponge et le calice que le Seigneur bénit et donna à boire à ses disciples en disant : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ».
Parmi cette précieuse anthologie des antiques chroniques hiérosolymitaines nous trouvons aussi le Liber de locis sanctis de Pierre le Diacre (1137). L’auteur y rapporte une autre chronique anonyme, plus antique, qu’il répertoria et conserva lui-même :
« Au-dessous, c’est le Golgotha, où le sang du Christ coula sur la roche brisée. De plus, sous le mont Calvaire, sur le côté occidental, se trouve le temple du Seigneur, qui fut édifié par Salomon dans une autre partie de la ville. Au-dessus de la roche, au milieu du temple, est contenu le sang du Christ qui coula le long de la roche brisée.
De l’existence du calice de la Cène on parle dans le beau récit hagiographique, œuvre de monastères byzantins, de la Vie de Barlaam et Joasaph. Certains l’attribuent à saint Jean Damascène (749). D’autres, non moins compétents, au saint moine Eutyme de Géorgie (1028). Dès le plus haut Moyen Âge apparaît donc bien enracinée l’intime conviction, documentée par des chroniques et des légendes, de la permanence à Jérusalem du Calice de la Cène. Quel est son rapport avec Joseph d’Arimathie ?
Selon Robert de Boron, qui suit en cela l’apocryphe Evangile de Nicodème, Joseph serait resté en Palestine après avoir envoyé en Occident sa « filiation spirituelle ». Certaines chroniques occidentales bien informées, que nous allons passer au crible, l’indiquent au contraire comme le premier missionnaire d’Angleterre. Nous vous proposons de prouver que, dans les deux cas, le rapport du calice de la Cène avec Joseph ou avec sa filiation spirituelle (ce qui est le même), est marqué par une étroite et singulière intimité.
Un important point de départ, pour l’excursus que nous allons entreprendre, se profile sans aucun doute dans la Légende de Lydda, composée en Géorgie entre le VI e et le VIII e siècle. V. Lagorio et, à sa suite, F. Zambon, voient en celle-ci « une des sources principales du mythe du Graal ».
Nous ne discuterons pas cette opinion. Il n’en reste pas moins que cette légende raconte l’histoire de la construction à Lydda d’une église dédiée à la maternité divine de Marie, par Pierre, qui pose la première pierre, Joseph d’Arimathie et Nicodème qui s’avèrent les architectes et les constructeurs. La consécration a lieu en la présence des apôtres Pierre, Paul, Jean, Thomas et André. Avant cela, le Seigneur était apparu deux fois à Joseph : pendant qu’il était en prison, pour l’assurer de sa particulière discrétion ; la seconde pour répandre l’Esprit Saint sur Joseph, Nicodème et leurs compagnons. Joseph est ensuite mis par l’apôtre Philippe à la tête de la communauté de Lydda. Cette communauté mystérieuse pourrait, selon tous les indices que nous avons examinés, constituer justement cette Eglise invisible confiée au timon de Joseph d’Arimathie. Supposition qui peut encore être renforcée par le témoignage d’une ancienne chronique, attribuée à Flavius Lucius Dexter, un préfet du prétoire de l’Empire d’Orient, mort dans la première moitié du Ve siècle. A la rubrique de l’année 48 nous trouvons cette importante notice :
« Les Juifs de Jérusalem, déchaînés avec violence contre les bienheureux Lazare, Madeleine, Marthe, Marcelle, Maximin, le noble décurion Joseph d’Arimathie et de nombreux autres, les embarquent sur un bateau sans rames, sans voiles ni gouvernail, et les envoient en exil ; et eux, guidés à travers la mer par une force divine, parviennent indemnes dans le port de Marseille.
En même temps que Joseph d’Arimathie, nous retrouvons ici des personnages comme Lazare, Marthe, Madeleine que les Evangiles canoniques nous décrivent comme intimes de Jésus, aimés de lui au moins à l’égal des apôtres. Dans la légende que nous venons de transcrire, ils sont, significativement, unis à Joseph d’Arimathie en un commun destin. Ensemble, formant une communauté mystique, ils parcourent, sous la guidance divine, un voyage miraculeux d’Orient en Occident, et leur itinéraire est exactement parallèle à celui, historique des apôtres Pierre et Paul, chefs et pontifes suprêmes de l’Eglise « visible ».
Les légendes occidentales sur Joseph d’Arimathie semblent au début vouloir confondre les pistes. On le retrouve en France avec Marie-Madeleine, en Espagne avec l’apôtre Jacques qui l’aurait consacré évêque… mais à la fin, toutes les routes se rassemblent, et pointent décidément vers l’Angleterre. Plus précisément vers l’abbaye bénédictine de Glastonbury, où convergent :
1) Les anciennes traditions celtiques qui donnent origine au cycle arthurien de Bretagne ;
2) Les anciennes traditions chrétiennes sur l’évangélisation de l’Angleterre.