Extrait de l'histoire des R + C de Sédir - Devenir initiable
COMMENT DEVENIR INITIABLE
À LA FRATERNITÉ DES ROSE-CROIX
La science humaine, la connaissance est tout à fait inutile pour parvenir à l'idéal que proposent les Rose-Croix, à la sainteté. Les considérations qui suivent sont destinées aux seuls étudiants, aux chercheurs qui veulent partir à la conquête du savoir.
Je signale ici les remarquables ouvrages d'un philosophe, trop peu connu eu égard à ses immenses recherches et à l'ingénieuse clarté de ses travaux : F. Ch. Barlet, qui a tracé de ces enquêtes un plan qui nous semble le plus logique et le plus complet. (1)
Dans le Messianisme, Wronski présente un plan différent.
Enfin, les chercheurs qu'un motif intellectuel ou mental attache à la tradition israélite étudieront avec profit la nomenclature des livres de l'Ancien Testament, livre dans lequel se trouvent et le chemin de la Rose-Croix, et la porte, et même une bonne partie de ses mystères.
Avec ces moyens, on s'estimera heureux si, au bout d'une existence entière de travail acharné, on arrive à un résultat précis et net.
Celui qui n'a ni le goût de ces recherches arides, ni le temps de s'y consacrer, ni les moyens de faire la chasse aux livres rares, ou de visiter de lointaines bibliothèques peut se contenter de la marche suivante, plus simple, plus conforme à l'esprit occidental, et plus rapide pent-être, si on a le courage d'accepter les épreuves qu'elle comporte.
Qu'il inscrive d'abord devant soi trois mots qui seront sa règle constante :
Travailler - Prier - Persévérer.
Voici l'ordre qu'il peut suivre pour ses études :
1 ° Rechercher, dans une version en langue vulgaire de la Bible, les noms divins, les puissances qu'on attribue à Dieu, les actes que le Verbe effectua en Judée, signes de ceux qu'il accomplit encore et qu'il accomplira dans l'univers total (Théologie).
2° Après s'être un peu perdu dans les histoires de l'Ancien Testament, le disciple se regarde lui-même, s'examine, et cherche à mieux obéir aux ordres de son Dieu (Morale).
3° Dans la mesure où il se purifie, la Nature se dévoile à lui, sans l'intermédiaire des livres ; et il peut s'arrêter à en connaître les secrets (Alchimie).
4° Il arrive alors à une vue d'ensemble sur le monde. S'il croit être parvenu au terme de ses efforts, s'il prend sa synthèse pour une synthèse totale, il peut tout de même travailler, semer quelque lumière et faire du bien ; mais il ne progressera plus, car un progrès est une naissance, et une naissance exige une mort.
Voici donc, par l'un ou l'autre de ces programmes, notre étudiant à peu près informé sur la lettre de l'hermétisme, du mysticisme et de la magie. Son information ne sera exacte, notez-le bien, que s'il a compris exactement ce que les auteurs ont voulu dire ou celer, s'il ne s'est pas enorgueilli de ses connaissances, s'il a résolu l'énigme du subjectif et de l'objectif, s'il a concilié la liberté de l'homme avec la prescience divine, s'il a senti la divinité du Christ, s'il a gardé son équilibre moral dans ses travaux pratiques, de volonté, de magnétisme, de clairvoyance, etc., s'il a abandonné le désir de garder sa science ou ses petits pouvoirs pour lui tout seul, s'il a compris comme la charité est indispensable, combien peu il a le droit de déranger des êtres et des forces dans l'invisible, s'il a su s'abstenir de tirer quelque vanité de ses recherches. Ce ne sont pas là des épouvantails ; c'est l'expression stricte de l'automatisme implacable avec lequel l'invisible nous répond quand nous l'appelons. Tout ce qui touche à l'occulte vit, d'une vie profonde, frémissante, débordante ; la sensibilité de ces forces et de ces êtres est exquise ; il est impossible de leur déguiser nos sentiments et nos mobiles ; et ils bougent selon un angle de réflexion exactement égal à l'angle d'incidence que le jet de notre volonté a pris en allant sur eux.
Or pas un sur mille des étudiants en occultisme n'est indemne des petites faiblesses que nous venons de signaler. Que lui arrive-t-il ? Il va en subir le contre-coup.
Peu à peu, à mesure que le cercle de ses études s'élargit, notre chercheur remarque des divergences entre les différentes théories des occultistes célèbres ; les travaux pratiques qu'il entreprend ne lui donnent pas les résultats assurés par les manuels ; quelquefois même ils sont suivis de réactions désagréables : malchances, accidents, maladies physiques ou mentales, pertes pécuniaires, malveillances ; des initiés en qui il avait mis sa confiance ne la justifient pas ; leurs promesses sont vaines ; il les voit succomber aux mêmes faiblesses que le commun des mortels ; les fraternités au sein desquelles il espérait trouver une lumière certaine ne sont que des parlotes ; l'intrigue et les médisances s'y donnent libre cours ; il se heurte à des antinomies insolubles en apparence : l'Invisible qui, au début, le visitait souvent semble s'éloigner de lui et le laisser dans la même nuit où s'agite le commun des hommes. Le découragement arrive ; les plaisirs vulgaires reprennent sur son âme leur empire, un moment ébranlé ; vient le dégoût, puis l'amer regret des belles heures d'enthousiasme et de foi ; puis l'étudiant se désespère et, peu à peu, les ressorts de sa volonté se détendent ; il tombe dans une indifference de surface, dont lui seul connaît les intimes amertumes et les mélancolies pleines de larmes.
C'est alors, dans ce plus profond du spleen, que tout est sauvé. C'est le grain qui se corrompt et se putréfie dans la ténèbre humide et froide de la terre couverte de neige ; le germe de lumière se nourrit silencieusement. S'il s'observe, celui qui, tout à l'heure, sera revêtu en esprit de la robe blanche du néophyte peut découvrir de laquelle de ses faiblesses ou de ses compromissions passées provient chacune de ses souffrances. Dès lors, le sentiment de la justice immanente l'éclaire ; il pressent que tout n'est pas perdu : il touche à la porte du pronaos.
Comment va-t-il l'ouvrir ?
Nous allons le voir quant au temple propre des Rose-Croix.
Les maximes suivantes exigent, pour avoir tout leur effet, d'être obéies à la lettre, et absolument ; que leur apparente simplicité ne rebute pas le chercheur. Le simple seul est vrai ; le simple seul est puissant.
Il est entendu que nous parlons pour les Occidentaux chrétiens.
Ces maximes n'ont pas la prétention de remplacer l'Évangile, car celui qui réaliserait seulement quelques-uns des préceptes de ce livre divin serait plus que Rose-Croix. On ne trouvera ici qu'un entraînement propre à rendre le chercheur capable de sentir et de comprendre les leçons de cette dernière école.
Cet entraînement peut se répartir en trois périodes : la reprise de soi-même, la tenue envers ses semblables, la culture intérieure.
A. - Tout d'abord, il faut vous rendre compte de l'excellence surhumaine du type de perfection que nous offrent la vie, les actes et les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Etudiez-les comme renfermant tout ce qu'il est possible à l'homme de savoir ; sachez que la pratique est plus efficace que la théorie ; déracinez en vous l'amour passionné des choses visibles ; rendez-vous compte qu'elles ne sont que les signes imparfaits de la parfaite Beauté. Fuyez la réputation ; voyez, dans les autres, le bien et, en vous, le mal. Aucun progrès n'est possible sans humilité sincère.
Examinez comme toutes les sciences et toutes les philosophies humaines sont partielles, provisoires et passagères. Si vous arrivez à entendre en vous la voix du Verbe, vous connaitrez la vérité et vous vivrez dans l'éternel. Pour cela, il suffit de parvenir à la connaissance de soi-même, c'est-à-dire de discerner si les mobiles radicaux qui nous font agir et penser proviennent de l'égoïsme ou du Ciel ; à celui qui abdique sa volonté propre Dieu donne la vraie science.
Toutefois pesez toutes choses, extérieures et intérieures. Aide-toi et le Ciel t'aidera. Lisez et écoutez simplement et humblement. Ne convoitez rien avec violence ; vous arriveriez à perdre la paix et à faire le mal ; seul Dieu peut être désiré avec l'ardeur la plus flamboyante et la plus tenace ; encore faut-il se souvenir que le Ciel n'est point là où trop souvent nous le mettons ; il réside surtout chez celui qui se juge le moindre et le dernier.
B. - Ainsi servez tout le monde ; mais n'attendez rien en reconnaissance ; donnerait-on sa vie pour son semblable qu'on n'aurait fait que son devoir. Ne cherchez point la société, la familiarité, les postes ; restez où le Destin, c'est-à-dire Dieu, vous a placé ; le Ciel vous trouvera aussi bien dans une échoppe que dans un palais, et à Paris que sur l'Himalaya. Ne parlez que pour dire quelque chose d'utile ou d'encourageant. Ne vous occupez, dans le temporel, que de ce dont votre état vous charge. Luttez contre vos défauts, pied à pied, comme une maison se bâtit brique à brique ; tâchez de ne jamais céder. Réjouissez-vous des épreuves, des misères et des tentations ; le Ciel vous offre en chacune le moyen de faire un grand progrès. Ne fuyez jamais un effort, même le plus vulgaire, même celui qui semble inutile. Ne vous étonnez pas si les luttes morales et matérielles renaissent indéfiniment ; vous travaillez pour le genre humain et pour Dieu. Veillez à ce que l'orgueil ou l'égoïsme spirituels ne se lèvent pas en vous. Nourrissez l'amour fraternel ; supportez d'autrui tout ce en quoi il vous gêne ; comprenez que tous les hommes ne sont, réellement, qu un seul être.
C. - Ne cédez jamais au moi, même dans les plus petites choses. Informez-vous des travaux des serviteurs de Dieu, dans les siècles passés ; ayez du feu en vous ; examinez-vous le matin et le soir, priez ensuite ; mais, le long du jour, travaillez, sans vous interrompre autrement que par un appel au Christ, quand il est nécessaire. L'Ami voit tout en nous. Taisez-vous pour apprendre à parler ; cachez-vous pour être parfait quand Dieu vous mettra en avant ; aimez la solitude, à moins que votre devoir ne soit au dehors. Épiez, au fond de votre coeur, les signes de la sollicitude divine ; en travaillant, en réfléchissant à vos affaires temporelles, en écrivant, apprenez-vous à tenir votre coeur en Dieu. Pensez à la mort ; si elle vient, ne regrettez pas ce que vous n'avez pu atteindre ; si vous n'avez pas reçu la Lumière de ce côté-ci du voile, vous la recevrez de l'autre, ou au jour suivant. Sachez que tout se paie, le bien comme le mal ; mais que la Miséricorde arrête parfois la Justice. Personne n'est perdu pour toujours.
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L'on comprend, dès lors, que vouloir devenir Rose-Croix est une illusion. Au reste, le plus sage n'est-il pas d'aller à la source d'où découle toute vérité et d'où provient toute certitude ?
Or, ce que l'on peut hautement affirmer - encore que le moment ne soit pas venu de l'expliquer -, c'est que l'Évangile contient toute l'initiation du Rose-Croix. L'Évangile renferme tout ce que la sociologie, la philanthropie, la théologie ont trouvé et trouveront dans ses pages inspirées et, de plus, le code, les règles, la méthode de quelque soixante-dix initiations, et la Rose-Croix n'est que l'une de ces initiations.
L'Imitation, que les Rose-Croix tenaient en grande vénération, procède de l'Évangile et le génie de Dieu qui se nomme Elias Artista n'est qu'un ministre de Celui qui a prononcé l'Evangile, Le mieux que nous puissions faire est donc de nous en tenir à l'Évangile.
Au reste convient-il de ne pas nous laisser éblouir et de nous rappeler que le Maître de l'Évangile a dit : « Vous tous, mes Amis, soyez certains que je serai avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde. » Cette seule parole renferme plus que tous les pouvoirs, plus que toutes les magies, plus que tous les adeptats, plus que tous les paradis. Le soin le plus nécessaire est donc de devenir un ami du Christ.
D'ailleurs, nous, qui sommes dehors, nous ne pouvons pas juger de l'intérieur des temples ni des dieux que l'on y vénère. C'est pourquoi il faut nous en tenir à ce seul Dieu, dont notre coeur est le vrai temple : c'est pourquoi il faut purifier ce coeur. C'est ici la clef de tous les sanctuaires, le mot de passe de tous les mystères, la solution de toutes les énigmes. Si la volonté est mauvaise, les pensées, les paroles et les actions sont mauvaises ; si elle est sainte, tout devient sain.
Cet immense résultat une fois obtenu, nous sommes dignes de toutes les places et capables de toutes les fonctions, La Providence fera de nous des prêtres, des commerçants, des princes, des Rose-Croix : il n'importe ; quelque travail qu'elle nous confie, nous le mènerons dès lors à bien, comme de patients laboureurs, comme de courageux soldats.
1.L'Instruction intégrale, Paris, 1897.
L'Occultisme, Paris, 1909.