Maison hantée à Montmorency - France 1912
Extrait de "les Maisons Hantées" de Camille Flammarion. Ed. de 1923.
MAISON HANTEE A MONTMORENCY
"Je dois vous dire, mon Cher Maître, que les faits se sont passés chez moi, dans notre propriété de Montmorency, en octobre 1912. Mon père était alité depuis six mois, atteint de néphrite et d'urémie consécutive. Nous avions trois domestiques attachés, cuisinière, femme de chambre de vingt-huit-ans, et petite aide de quatorze ans.
En août, un violent orage nous avait valu la chute de la foudre dans la cuisine, à l'heure du repas des domestiques, et la femme de chambre en avait été fort impressionnée. Notre maison, située sur la hauteur, a un rez-de-chaussée, bâti sur une cave, et deux étages; un jardin l'entoure.
Donc, vers octobre ou novembre, notre petite bonne, enfant dégénérée, fille d'alcoolique et en pleine formation physique, devient peureusen craintive, et nous raconta des histoires fantastiques; sa figure était contractée, ses yeux cernés, au fond d'un visage émacié. La femme de chambre, en même temp, paraissait être aux prises avec mille idées imaginaires. Ces deux sujets dévoraient les romans à bon marché, racontant les histoires les plus invraisemblables. Bientôt, dans tout le pays, par la voix de la fillette, la maison eut une réputation étrange. Nous voulûmes, ma mère, une de mes tantes et moi, résister à ces soi-disant contes, et surtout ne pas éveiller l'attention de notre grand malade sur le service désordonné qui régnait dans la maison.
Le démon tape aux vitres, Mademoiselle; le démon a frappé de grands coups au second d'une telle chambre", etc, répétait la fille. Nous ne pouvions prendre ces sornettes au sérieux, lorsqu'un certain vendredi, où ma mère et moi étions allées en course à Paris, nous trouvons, en rentrant, notre brave jardinier (que nous avons toujours) nous attendant à la cuisine, blème et effaré.
La petite bonne s'était trouvée mal à plusieurs reprises, et la femme de chambre aussi. Le secrétaire de mon père, qui était venu faire signer des pièces, avait été également interloqué. Que s'était-il passé?
1°) Lorsque le secrétaire avait voulu prendre son chapeau au portemanteau, des coups frappés régulièrement à la porte d'entrée avaient attiré son attention, et il n'avait pu découvrir personne; et cela à deux ou trois reprises;
2°) Les tiroirs des meubles s'ouvraient seuls;
3°) Dans la cuisine charivari terrible, les balances oscillaient, les casseroles remuaient sur le fourneau, tandis que le tiroir à charbon, plein de 50 kilos du précieux combustible, se déplaçait sur ses roulettes;
4°) Des coups retentissaient aux vitres.
Nous étions fort ennuyées, ma mère et moi, de voir notre monde bouleversé; mais nous parlâmes sévèrement, et tout rentra dans l'ordre...ce qui nous surprit nous-mêmes.
Cependant, le soir, après dîner, voilà que les bonnes, vertes d'effroi, prétendirent entendre des coups, que je ne percevais pas plus que notre ami le Docteur, qui soignait mon père. Je me suis postée une heure dans le jardin pour déjouer quelque manège, si manège il y avait; mais je n'ai rien découvert. Je conclus à une hallucination des deux poltronnes. Mais en rentrant j'entendis, moi aussi, très distinctement, des coups nettement frappés... Mes nerfs, trop tendus, me donnaient-ils communication avec des ondes? Le médecin me répliquez : "Prenez garde, Madame, vous devenez aussi folle que les autres." Possible, cher ami, mais je ne puis le nier.
Le lendemain matin, vers luit heures, la cuisinière, affolée, vint me trouver : "Mademoiselle, je ne puis faire le ménage, cela tape en haut, et dans la véranda, tout remue."
Je descendis écrire des comptes dans la salle à manger, qui s'ouvre par une baie sur la véranda, regardant la cuisinière faire son travail, tandis qu'au second la femme de chambre était occupée et que j'envoyais la petite faire des courses.
Je vis alors un étrange spectacle : sur le carrelage de la véranda, une chaise se mit à tourner sur un pied, et les meubles craquèrent. Gardant un calme imperturbable, je tranquillisait la cuisinière, puis montant au second j'entendis deux coups singuliers tapés dans une chambre que la femme de chambre nettoyait.
Trouvant la paix compromise chez nous, et discernant "un sujet" dans la petite, nous avons prié les parents de la reprendre. Ceci ne se fit pas sans peine, car on accusa mon père d'être la cause de tout le mal. La femme de chambre fut également remerciée et, comme par enchantement, la maison reprit son calme.
Je suis entièrement convaincue que la femme de chambre et l'enfant agissaient inconsciemment. Je ne sais ce qu'est devenue la première; la seconde s'est faite femme et est maintement mère de famille.
Le pauvre malade est mort le 12 mars suivant, n'ayant rien su de nos perturbations. Du reste, nous avions fait le possible pour les tenir cachées.
S. de Bellecour (nom modifié)
Commentaire de Camille Flammarion :
Tel est le récit de l'observatrice. J'en ai reproduit tous les détails, pour notre instruction personnelle. Ces bruits inexpliqués, ces mouvements sans cause apparente sont certains, et associés à la présence de la femme de chambre de vingt-huit-ans, ou surout de la petite de quatorze ans. Elles n'y sont pour rien consciemment. Un force inconnue agit en se servant d'elles. Le mourant a-t-il eu une action indéterminée?