CASCADES SOUS-MARINES
Découvertes en cascades... sous-marines ! | |
Des cascades brassant de phénoménales quantités d'eau... sous l'eau. C'est le phénomène qui vient d'être étudié, pour la première fois, en Méditerranée occidentale. Plongée au coeur d'un processus hydrologique fascinant. Vue 3D de la Méditerranée nord-occidentale où l'on assiste, l'hiver, dans certaines zones, à la formation de cascades sous-marines déplaçant en profondeur de gigantesques volumes d'eaux côtières Si d'aventure, l'hiver prochain, une virée en bateau vous conduit à l'ouest du golfe du Lion, sachez qu'à quelques centaines de mètres sous vos pieds, un phénomène exceptionnel pourrait se produire sans que vous vous aperceviez de rien... Entre janvier et mars, en effet, pour peu que plusieurs conditions soient réunies et concourent à former dans cette partie de la Méditerranée une eau très dense, soit très froide et très salée – un mistral et une tramontane soufflant violemment un air glacé depuis des semaines et des fleuves affichant un débit modeste qui limite les apports d'eau douce –, de gigantesques cascades sous-marines se forment, débordent les frontières du plateau continental et "coulent" en dévalant à toute vitesse les flancs des vallées sous-marines avant de se répandre en profondeur. Quelque chose comme les chutes du Niagara au large de la frontière franco-espagnole ! Une mégacascade Connu de longue date, ce processus hydrodynamique identifié dans une centaine de sites mondiaux n'avait encore jamais fait l'objet d'un suivi à long terme. Une lacune désormais comblée puisque, au cours des hivers 2004 et 2005, une campagne d'études pluridisciplinaire orchestrée par le Centre de formation et de recherche sur l'environnement marin (Cefrem) de Perpignan a permis d'observer et de caractériser, grâce au déploiement d'une batterie d'instruments autonomes (courantomètres, pièges à particules, turbidimètres), "une mégacascade qui, en 2005, a duré 40 jours dans le canyon du cap de Creus, le principal exutoire des eaux denses côtières du golfe du Lion", explique Serge Heussner, directeur du Cefrem. Et de révéler des chiffres stupéfiants: cette cascade, d'une ampleur et d'une force exceptionnelles, a déplacé 750 km3 d'eau de mer à travers ce seul canyon, soit autant d'eau qu'en transporte le Rhône en quatorze ans ! "La vitesse de pointe des courants violents engendrés par cet épisode paroxystique a atteint 1 mètre par seconde alors que les courants marins profonds voyagent classiquement à quelques centimètres par seconde, poursuit Serge Heussner. Ils ont emporté avec eux d'énormes quantités de sédiments arrachés au plateau continental et aux flancs du canyon et, surtout, de la matière organique fraîche hautement nutritive, une vraie “manne” pour les écosystèmes profonds." Résultat, ces plongées d'eau dense, qui dans le canyon du cap de Creus ont creusé au fil des siècles des sillons géants longs de plusieurs dizaines de kilomètres et entaillé les fonds meubles sur plusieurs mètres de profondeur, transforment brutalement des déserts biologiques en oasis. "Nos calculs montrent que cette cascade a transporté 600 000 tonnes de carbone de la surface à des profondeurs dépassant 2 400 mètres. Nous sommes d'ailleurs en train d'étudier, avec des biologistes, l'impact a priori positif de ces arrivées massives de nourriture sur la faune concernée", dit le même chercheur Partie supérieure du canyon du Cap de Creus, dans la partie occidentale du golfe du Lion. Propagation d'une cascade exceptionnelle comme celle de l'hiver 2005 (flèche) et représentation de l'érosion qu'elle produit sur les parois et le fond du canyon A noter: de récentes modélisations indiquent que les cascades sous-marines risquent d'être perturbées par une augmentation de la température des eaux de surface liée au réchauffement climatique en cours. Les conséquences sur la séquestration en profondeur du CO2 ou encore sur l'alimentation des écosystèmes profonds pourraient être considérables. | |
Source: CNRS Illustrations: © S. Heussner/CEFREM ; GRC Geociencias Marinas de l'Univ. de Barcelone Fugro Survey Ltd. et AOA Geophysics | |