Les phéniciens et l'Odyssée d'Homère
LES PHENICIENS ET L’ODYSEE
par
Pythéas
Ulysse - Mosaïque romaine (Musée du Bardo - Tunis)
Tenant compte de tous les détails topographiques contenus dans l’épopée, contrôlant au plus près les délais de navigation rapportés et les distances correspondantes, ne négligeant aucun élément susceptible d’éclairer sa démarche, l’auteur de la Résurection d’Homère réalisa un travail si considérable et si documenté qu’il apparut longtemps comme définitif. Une fois reconstituée la géographie odysséenne, une autre évidence lui parut devoir être retenue : les renseignements contenus dans le poème traduisent l’origine phénicienne de la documentation dont a disposé son auteur.
Avant l’expansion grecque, la Méditerranée occidentale était au main des Phéniciens qui, par le biais d’un « Périple » ou d’un recueil d’instructions nautiques, fournirent au poète la matière de son œuvre. Cette thèse était très solidement argumentée et demeure, à beaucoup d’égards, séduisante, même s’il convient aujourd’hui, à la lumière de la relecture de certains textes ou de récentes découvertes archéologiques, de la nuancer sérieusement.
Pour Victor Bérard, le point de départ de son enquête fut la localisation de l’île de Circé, « Nésos Kirkès », que l’auteur de l’Odyssée appelle aussi « Aiaié » ; sachant que ces deux noms signifient, l’un en grec, l’autre en hébreu, une langue voisine de celle que devait utiliser les Sémites de la côte libanaise, « l’Île de l’Epervière », il est possible de reconstituer, en s’appuyant sur une étude rigoureuse de la toponymie et de la topographie actuelle des lieux considérés, le trajet possible d’Ulysse et de ses compagnons.
« Les Récits chez Alkinoos » ont tous pour cadre la « mer du Couchant » ; celle-ci apparaît inhospitalière et dangereuse, les marins y affrontent des monstres ou des populations hostiles ; jamais, si l’on excepte l’île des Phéaciens, ils ne rencontrent d’humains civilisés et accueillants. Après l’épisode qui voit le gros de la flotte détruit et la majeure partie des équipages dévorée par les Lestrygons installés en Sardaigne, les Grecs abordent la côte italienne à hauteur de l’actuel Monte Circeo, dont les instructions nautiques signalent qu’il ressemble à une île séparée du continent par les marais Pontins, au point que Strabon a pu en dire que « cette montagne de Circé est vraiment insulaire, entre la mer et les marais ».
« L’Île de l’Epervière » est située non loin de l’endroit où s’élèvera la petite ville d’Astura (la cité de l’Autour) et le cap Volturno ( du Vautour) ; ainsi propice aux rapaces, cet endroit justifie le nom qui lui est donné par le poème ; les nombreuses grottes voisines confirment cette première impression puisque Circé demande à Ulysse de mettre « ses agrès et ses biens dans les grottes ».
La magicienne de l’Odyssée paraît, de plus, correspondre à la déesse latine Feronia, une maîtresse des fauves qui fait ici l’objet d’un culte jusqu'à l’époque classique. Cette divinité présidait aux affranchissements suivant un rituel bien précis (les esclaves devaient se lever et avaient les cheveux tondus au moment de leur émancipation) qu’il est possible de retrouver, sous des formes symboliques, dans le poème homérique : les compagnons revenus de l’état de pourceaux à la condition humaine se dressent à nouveau et perdent leurs soies.
Les nombreux termes qui, dans la toponymie, traduisent l’importance des magiciens ou des sorciers dans cette région, la réputation des Marses voisins en ce domaine, tout cela renforce l’identification du Monte Circeo avec le pays soumis à Circé. S’avançant nettement par rapport au rivage, le Monte Circeo apparaît comme un point de repère caractéristique et les navigateurs qui ont pu fréquenter la région et fournir les rapports dont Homère a pu avoir connaissance, n’ont certainement pas manqué de le remarquer.