Un drame de l'océan : le naufrage de la goélette

LE NAUVRAGE DE LA GOELETTE « LA CORVETTE »

 

par

 

Pythéas

 

Une goélette du type de la "Corvette"

 

Dans la nuit du 19 au 20 Août 1932, la « Corvette », un deux-mâts de 130 tonneaux, disparaissait en mer alors qu'elle se trouvait à quelques milles du bateau-feu « Owers» près des côtes anglaises. Elle était commandée par Yves Marie Le Dantec, capitaine armateur, père de trois enfants et natif de Pleubian. Trois hommes périrent lors du naufrage : le capitaine et deux membres d'équipage George Frédéric Bazin, âgé de 16 ans et Marcel Rault, père de trois enfants, tous deux natifs de Saint-Malo. Les deux survivants : Etienne Antoine de Pontrieux et Pierre Padel de Pleubian nous racontent les circonstances du naufrage. Nous citons :

 

La « Corvette » avait quitté Saint-Malo le 12 Août avec un chargement de tuiles pour Southampton et arriva à bon port le mercredi 16 Août. Après avoir déchargé la cargaison nous sommes repartis samedi après-midi pour nous rendre à Boulogne, de 3 heures de l'après-midi à 21h57, la mer était comme de l'huile, mais quelques minutes avant 22  heures, alors que nous étions à 7 ou 8 milles du phare Owers, une tempête soudaine arriva. En deux minutes tout fut fini. Avant que nous ayons pu diminuer la toile, le bateau chavira. Nous nageâmes comme nous pûmes avec nos pieds sur la voile. Nous étions dans l'eau jusqu'aux aisselles. Nous savions que le bateau allait couler, c'est pourquoi Padel accrocha un espar (morceau de bois) de façon à ce que nous ayons quelque chose pour nous sauver. C'était difficile pour Padel et il doit être félicité. Pendant deux heures, nous nous sommes tenus au mât qui finit par couler.


Nous nous accrochâmes ensuite à l'espar que tenait Padel mais il était bien difficile de  maintenir son étreinte parce que l'épave était roulée par les vagues. C'est peu de temps après que le capitaine mourut. Il nous demanda de dire à sa femme combien il l'aimait et de lui dire qu'il avait fait tout son possible pour se sauver. Quelques instants après nous vîmes qu'il était mort et son cadavre continua de flotter près de nous, une vague l'enleva et il s'engloutit dans les flots. Nous continuâmes à tenir l'épave espérant qu'un bateau de passage nous verrait mais aucun navire ne vînt. Alors Bazin et Marcel Rault, à bout de forces, lâchèrent leur étreinte et disparurent. Tel eut été sans doute notre sort à Padel et à moi quand quelques minutes plus tard nous vîmes les feux d'un navire. Nos appels « Au secours » furent entendus,  nous étions sauvés.

 

Après avoir recueilli les rescapés, M. de Selincourt, propriétaire du bateau sauveur nous raconta les péripéties du sauvetage.

 

M. de Selincourt avec les rescapés du naufrage

 

L'Arlette se dirigeait sur Southampton. Par la suite de la tempête et du vent contraire, le voyage dura plus longtemps que prévu. A 11h30 du soir, quand le petit navire qui ne jauge que 8 tonnes, se trouvait sur le travers du bateau-feu Owers quand il rencontra le grain. Il fut si violent et surgit si brusquement qu'il coucha l'Arlette sur le flanc. Le résultat fut que le yacht commença à se remplir rapidement si nous n'avions réussi, dans un effort suprême, à diminuer la voilure, nous aurions sombré. Ensuite le temps devînt presque calme à nouveau et, quand nous eûmes mis tout en ordre, pompé le navire et remis en route, nous approchions de la tour « Nab », il était alors 3h30 ou 3h45 du matin. Ce fut alors que nous entendîmes des cris qui, à distance avaient l'air de venir de l'eau. Nous ne pouvions rien voir et nous pensâmes d'abord que c'était des pêcheurs qui nous prévenaient de ne pas approcher de leurs filets. Cependant au fur et à mesure que nous nous approchions, nous entendîmes les cris de « Au secours » et nous réussîmes à distinguer deux têtes flottant hors de l'eau. En approchant nous découvrîmes que c'était deux naufragés agrippés à un espar. Nous leur jetâmes une bouée de sauvetage, mais ils ne purent la saisir.

 

Virant de bord de nouveau, nous leur jetâmes une autre bouée attachée à une amarre. L'un des hommes saisit la bouée et s'y fixa, et l'autre saisit l'amarre, il ne nous restait plus qu'à les haler à bord. Ils étaient très pauvrement vêtus et dans un état d'épuisement. Un maillot déchiré était tout ce que portait l'un des hommes et l'autre était habillé d'un pantalon usagé. Je leur demandais s'il y avait d'autres hommes à l'eau car je ne désirais abandonner personne. Mais il dirent : « Fini, fini ». C'est tout ce que je j'ai pu obtenir d'eux sur le moment. Je les fis descendre. Ils se séchèrent et mangèrent. Le moral revenu, ils étaient à peu près bien quand nous atteignîmes Southampton.


M. de Selincourt expliqua que le point où il avait sauvé les hommes était à environ 2 milles N.E. de la tour « Nab ». C'est juste sur la route des steamer, dit-il, et je suis surpris que l'on ne les ait pas remarqué auparavant. Nous avancions par brise légère de S.O. mais cette rafale qui venait d'une autre direction inattendue et qui nous a frappé, a fait certainement la même chose pour la « Corvette ». L'un des hommes me déclara que les machines ne marchaient pas et que toutes les voiles étaient dessus, la rafale frappa le navire et l'aplatit, comme elle aurait pu nous aplatir si nous n'avions réussi à diminuer la voilure rapidement.

 

Goélette fendant l'eau à pleine vitesse

 

M. de Selincourt ajouta que les hommes étaient très désireux de retourner chez eux. J'ai offert d'envoyer des télégrammes pour eux, mais ils craignaient que cela ne causât une émotion à leurs parents.

 

Les hommes étaient excessivement reconnaissants envers M. de Selincourt, non seulement pour leur avoir sauvé la vie, mais pour les soins et l'attention qu'il leur a donné ensuite. Le Consul de France à qui ils avaient été confiés fit le nécessaire pour les renvoyer chez eux par un navire de la marine qui quittait Southampton le soir même.

 

Source : Ouest-Eclair 23, 24 et 27 Août 1932

 

 

 

Si l'ont médiatise les courses en solitaire et leurs dangers, la plupart du temps le grand public ignore la vie des marins pécheurs qui s'aventurent sur les mers pour ramener du poisson à la civilisation...



30/10/2006
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